Presse de merde…

Une presse en grande forme...

Une presse en grande forme…

De même qu’en son temps l’émissaire était mis à mort, le journaliste est souvent cloué  au pilori. Profession à la fois enviée et décriée, le journalisme reste toujours juste dans la moyenne dans les opinions des Français (58% d’opinions favorables d’après une enquête Ipsos… pour le défunt France Soir) et pourtant les écoles débordent de jeunes qui rêvent de ce métier.

Alors les journalistes sont-ils nuls ? Mettons fin au suspense, oui, ils le sont ! Mal formés ou stupides ? Même pas ! Mais soumis fortement depuis 10 ans à une double crise qui les tire vers le bas. Une crise du modèle économique qui restreint leurs moyens et les met sous la coupe de financiers et surtout de théoriciens du pire toujours prêts à détruire ce qui leur reste de professionnalisme. Crise avant tout de lectorat car on a la presse que l’on mérite… Les journaux traitant de sujets de fonds ou d’enquêtes longues dites « froides » ou « tièdes » intéressent de moins en moins les lecteurs qui veulent de l’instantané, du « chaud » jetable et sans fond. Les financiers suivent et accentuent le phénomène, anticipant –parfois abusivement- l’envie du lecteur moyen d’info prémâchée, rapide et sans analyse délaissant le fond au profit du croustillant ou de l’émotionnel. De l’instantané « bankable », immédiatement. L’article devenant un produit moderne (traduction: vite consommé, vite oublié).

Le nouveau paradigme depuis 10 ans c’est… Internet ! On se moque du « pourquoi » tout juste s’intéresse-t-on un peu au « comment », ce qui importe c’est d’adopter le contenant (Internet) pour être « in ». Le contenu (l’info) importe peu, réduit par beaucoup à savoir utiliser les mots clés pour être référencé par Google. Attirer de l’internaute (souvent gratuitement) devient une fin en soi.  Toute la presse doit s’y plier : rapidité de l’info (non recoupée), style télégraphique  et mise en avant de l’anecdote, de la formule choc ou de la photo (voire mieux de la vidéo) qui fixent l’attention. Sans changer les fondamentaux de ce qui fait fonctionner un article depuis toujours, Internet en accentue les aspects les plus superficiels, l’accroche devient l’essentiel, le fond se réduit à n’être qu’un petit plus d’esthète, non valorisable, donc traité comme accessoire. Mais surtout, le modèle ne fonctionne pas sur deux points :

–           Economiquement. Sauf pour quelques très rares cas, un journal en ligne n’est pas rentable. En se mettant au niveau du blog de base, le journal creuse sa tombe, réduit à une suite d’éditos forts en lieu et place de ce qui fait sa valeur, valorisable économiquement parlant (pour le lecteur et par ricochet pour l’annonceur) : le fond et la recherche.

–          Intellectuellement c’est pire, l’article de fond d’un journaliste ayant travaillé des mois sur un thème sera, grâce à la magie démocratique du Web, mis sur le même plan (voire moins) que le billet d’humeur du premier blogueur un peu malin (qui sait faire référencer son travail)  ayant bossé 3 heures sur le même sujet.

Il est depuis 10 ans plus facile d’obtenir de l’argent pour changer la couleur de son site Web à prix d’or que pour financer des enquêtes. Quant aux enquêtes elles-mêmes, elles se retrouvent supplantées par du reportage exprès, avec de l’image choc pour faire « terrain ». Plus question de s’ennuyer à faire des recherches approfondies -qui coûtent cher-, notamment en confrontant les sources plus bibliographiques et plus simplement en étudiant plus de cas concrets contradictoires sur le terrain. Non, vive l’instantané qui pète ! « Et tu me rajouteras un chiffre choc coco, celui qui impressionne le plus »…

Un exemple accessible pour tous, le média télévisuel. Le reportage choc envahit tout (entre deux séries pourries). Il existait avant, mais il devient la norme. Même une émission culte comme Capital sur M6, véritable orgie de chiffres et de recherche d’infos de fond à l’origine, devient une suite de reportages censés illustrer des tendances qui ne sont ni décrites via des sources diversifiées, ni analysées.  Tout au plus le journaliste se fait-il compilateur, non de sources réelles, mais de sujets écrits par d’autres… journalistes avant lui. Autre exemple fort, le marronnier par excellence : la sécurité routière juste avant un départ en vacances. De l’émotion, des témoignages chocs (souvent les mêmes) et des chiffres balancés sans analyse et pire avec des erreurs fondamentales, du fait de l’absence de recul sur les intervenants, quasiment jamais contredits sur leurs affirmations péremptoires. Troisième exemple classique, les banlieues. Pas « in » avant les émeutes de 2005, traité dans tous les sens sans analyse pendant 3 ans après le choc, retourné dans les limbes depuis, sauf pour des sujets caricaturaux : angélistes ou catastrophistes selon l’émotion recherchée.

Alors nuls les journalistes ? Pas plus ni moins qu’avant en fait. Mais dans des médias qui deviennent de la merde, ils ont le choix entre surnager et en bouffer, plus simplement se laisser paresseusement couler…  ou devenir ce que tout le monde attend d’eux, des communicants qui brossent politiques, puissants ou lecteurs dans le sens du poil, s’agitant au lieu de bouger  et tirant de temps en temps sur une ambulance, sorte de catharsis ponctuelle leur permettant de se donner l’illusion de la pensée indépendante.

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1 commentaire

  1. Florence Baumann

     /  février 13, 2013

    C’est bien envoyé. J’aimerais l’afficher partout, le crier partout !

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